mardi 14 août 2012

L'impatience, comme la lucidité, ça s'acquiert avec l'âge

Ce souvenir enfoui avait resurgi à la lecture d'un billet de Comme Une Image sur ses amours de jeunesse.
Je reprends ici le témoignage que j'avais laissé là-bas, car outre le côté savoureux de l'anecdote, je m'aperçois qu'il est plus riche d'enseignement qu'il y parait (oui, et les esprits malins pourront toujours relever qu'un souvenir de collégien est toujours riche d'enseignement !)

En classe de 5ème, il m’était arrivé un truc assez dingue avec une inconnue.
Une fille très discrète, que les garçons ne remarquaient pas spécialement. Nos regards s’étaient accrochés, par hasard, comme dans une pub. Nous nous étions tapés dans l'oeil, au point que nous ne pouvions dès lors plus nous croiser sans partager un regard réciproque le plus longtemps possible…
J’en étais tombé fou amoureux… On n’était pas dans la même classe, on ne s’était jamais parlé, et on a passé plusieurs mois ainsi, à se croiser du regard, partout, silencieusement, à chaque interclasse. Je connaissais son emploi du temps par coeur, je savais où on allait se croiser, quel couloir, quel escalier, et j’étais abattu le jour où elle était absente… Ma vie au collège était minutée pour elle..
Je savais comment elle s’appelait, où elle habitait, sans jamais lui avoir jamais parlé, ni n’en avoir jamais parlé à mes copains ni ma famille…

Un jour de juin, effrayé d’envisager la séparation des grandes vacances, je guettais le moment dans la cour de récréation où elle se retrouverait seule pour enfin l’accoster. Je me rappelle avoir senti mon coeur battre de plus en plus fort et ma gorge se serrer toujours plus au fur et à mesure que je m’approchais d’elle, en slalomant parmi les autres pour l’atteindre, tentant le tout pour le tout, conscient que je jouais à quitte ou double...

Les seuls mots qui réussirent à sortir furent un pathétique « Carole, tu veux pas sortir avec moi? ».
Se montrant impassible malgré la soudaineté de mon jaillissement, et l’aridité de ma conversation, elle répondit calmement « Non ». « Non? » bredouillai-je, alors que j’avais l’impression que tout s’effondrait autour de moi… « Non » répéta-t-elle avec un léger sourire gêné.
Je lui tournais le dos et n’osai plus jamais croiser son regard, ni les jours suivants, ni les années suivantes où nous nous côtoyions encore au collège… 

Voilà.
Je me souviens aussi avoir été consolé par les plus belles filles de la classe qui m'avaient trouvé éteint les jours suivants, mais je ne m'en suis à peine rendu compte. J'étais inconsolable, indifférent à leur gentille attention. Et aujourd'hui rétrospectivement ça m'étonne. Comment ai-je pu être si intègre, désintéressé, comment ai-je pu passer à côté de tant d'autres aventures?

J'étais jeune certes. Avoir passé des mois à désirer de cette façon était délicieux, mais je ne me reconnais pas dans la démarche. Moi qui aime tant communiquer, explorer, courtiser.. Comment ai-je pu me montrer si patient? Si passif? Si peu entreprenant, et au final si maladroit?
Je prends conscience que je baignais dans une douce ivresse, de cette jolie histoire si mignonne et romantique. C'était agréable, j'étais bien. J'avais le temps, mon inexpérience pour seul bagage, et le luxe de pouvoir expérimenter à ma convenance.

Autant de choses qui ont changé aujourd'hui. Non pas que je sois devenu un homme pressé. Mais pas loin.
La vie est courte et le monde est vaste. J'ai en moi une énergie qui déborde pour ne pas me bercer d'illusions et de mirages, de paradis artificiels à base d'extraits de sentiments dilués. Je veux de l'huile essentielle de rapports humains, intimes, authentiques, sans faux semblants ni artifices. Je cherche instinctivement la communication sans fard, celle qui fait gagner du temps, même si de temps en temps ça nous en fait perdre aussi. 
Je suis sans doute devenu trop pressé. Mais ma vie ne m'offre plus de fenêtre assez large pour flâner.
Je rêves parfois de ces scénarios d'ivresse en cinéma muet, de ces dialogues d'yeux bavards, de ces drôles de tempêtes magnétiques qui vous désaxent les pupilles de façon intempestive au hasard des croisements fortuits.

En revivrai-je un jour? Je ne sais... 
L'âge m'ayant fait acquérir une impatience à toute épreuve, une frivolité sans faille, et des yeux débarrassés de promesses. Si l'on y ajoute une vie dénuée de surprise et de brassage relationnel, cela fait pas mal de contre-indications pour l'homme que je suis devenu...







3 commentaires:

  1. On s'est connu en classe ???
    Je me souviens très bien de ce garçon !! Je l'ai vu longtemps me regarder "discrètement". Je l'ai bien remarqué parce que je faisais pareil. Rien que de savoir qu'il se faufilait dans la cour pour venir au plus près, j'en étais toute retournée.
    Ah non, ce n'est pas toi, parce que celui là, il a demandé à une de mes copines de me dire "Il me demande de te demander si tu veux bien sortir avec lui!".
    J'ai dit non (c'était trop la gêne).
    Ma copine lui a reporté le "Non" et elle est sortie avec lui,la garce, ça a duré 2 jours, rires !
    Je suis restée une grande romantique malgré tout, sourire, j'aime bien les histoires qui finissent bien :)
    Je ne trouve pas que ça empêche d'avoir les pieds sur terre, ni les rapports humains, ni..rien en fait tant que le tout n'est pas subi.

    Y a-t-il eu un "déclencheur" à ton envie d'autre chose ?



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    1. Le chanceux ! Moi j'ai même pas pensé à me rabattre sur sa copine pour noyer mon chagrin ! :-)

      Un déclencheur? Je ne sais pas, sans doute oui.
      Je vois deux étapes :

      La première : une crise de la quarantaine précoce sans doute qui me dit que la vie est courte et que je n'ai plus le temps de tergiverser, conjuguée à l'évolution de notre couple et les difficultés que nous avons traversées, qui nous ont révélé que la sécurité conjugale offert par le contrat d'exclusivité nous imposait trop de sacrifices et d'ilusions risquées.
      La seconde : une prise de conscience que dans mon vécu sentimental agité d'avant mariage, j'avais beaucoup perdu de temps à jouer d'illusions sans réellement comprendre et connaitre mes partenaires... Cette prise de conscience est venue, je pense, des rencontres que j'ai faites récemment et qui m'ont fait rajeunir au point que j'avais l'impression que je n'avais rien appris depuis et que j'allais commettre les mêmes erreurs. Comme cette fois ci je me suis interdit de m'abandonner à l'ivresse de la passion, j'ai sans doute pu rester plus lucide...

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  2. Quelle belle période engagée que celle de la quarantaine où tout arrive!!!!

    C'est au Coeur et autant au Creux de cette quarantaine que j'ai découvert l'Intensité amoureuse, relationnelle intime.......

    Un choix à faire ensuite que celui, à l'instar de la chanson des Noir Désir, de ne point devenir "Homme -stréilement et vainement - Pressé" et un choix cohérent alors que celui de Vivre....

    Je sortais alors d'un trou noir de 10 ans d'abstinence sentimentale et sexuelle.....

    Tout vient à point.......

    Et Meilleurs Voeux à ces choix, dans le prolongement direct et cohérent de ces émois adolescents....

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Zone de saisie interactive nous permettant d'envisager la co-construction d'un échange d'informations, processus également connu sous le terme de "dialogue" :